Extrait
Cette étude adopte une approche d’humanisme numérique pour explorer les enjeux actuels et par une analyse historique, elle élabore des préconisations pour l’avenir. La première partie aborde l’évolution des TIC et leurs impacts sur nos habitudes temporelles. La seconde analyse les défis actuels. La troisième formule des hypothèses pour équilibrer le temps numérique, en mettant l’accent sur la sobriété digitale et l’intelligence critique. Le temps s’est transformé avec les avancées techniques, passant des cycles naturels aux unités de travail industriel, puis à une connectivité constante altérant la cognition et le bien-être nécessitant des limites claires et des pratiques éclairées. Cette étude encourage des stratégies préservant l’équilibre entre exigences numériques, sociales et environnementales.
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Cette colonisation numérique « permet l’expression de nouveaux pouvoirs » (Ghernaouti, 2016). Afin que ne s’établissent pas de « nouveaux pays sous-développés, ni des infodépendants, ni des “Indiens” en voie de disparition », l’enjeu de l’humanisme digital réside dans la garantie de la réintroduction et l’équilibre du temps numérique. Cela passe par un droit à la déconnexion et à l’oubli face à cette totalisation numérique. Pour préserver le respect de la confidentialité et de la vie privée en ligne (Boyd, 2007), lutter contre les viralités désinformatives et maintenir une vie humaine quotidienne saine, une approche typologique diachronique permet de rééquilibrer fondamentalement les processus naturels de l’homme en fonction de ses besoins et capacités dans son environnement. Cette approche permet de garantir au mieux le libre arbitre d’être, de penser et d’agir, en rétablissant la capacité à faire preuve de discernement et à éviter les processus addictifs ou la perte de contrôle dans cette temporalité polychronique. L’usage excessif des écrans entraîne des troubles dans la représentation et la gestion du temps, ayant un impact non négligeable sur la santé humaine : surcharge émotionnelle, sédentarité (Straatmann, Oliveira, Rostila, Lopes, 2016) troubles du sommeil (ORS, 2020), dépendance accrue, fragmentation de l’attention (Mark, 2023), distraction permanente (Nass, 2009 ; Thornton, 2014) et diminution des interactions authentiques (Nass, 2012). La sobriété numérique permet de développer une culture du « temps naturel » afin de maintenir et de respecter la singularité humaine face aux défis que posent les TIC et l’urgence écologique. L’activité physique, la connexion avec la nature, les interactions authentiques, la gestion de l’hyper-présent, la pleine conscience, l’intelligence critique et créative, contribuent à limiter les dérives induites par la temporalité numérique.
C’est ainsi un éloge de la lenteur dans le sens latin « festina lente », « hâte toi lentement » pour reprendre possession du temps naturel dans ce temps sans repos de la connectivité. La volonté poussée à son extrême de la pensée technocratique, capitaliste et transhumaniste semble vouloir se diriger vers une élimination des temps mort. Chaque détail de la vie d’un individu semble vouloir être exploité au maximum pour servir des intérêts vers des activités préformatées et commercialisées, par des incitations à la consommation, encourageant les loisirs et activités qui stimulent l’économie, tels que le divertissement numérique, limitant ainsi profondément les opportunités de réflexion profonde et de contemplation, ainsi que le respect de la vie privée.
Le transfert numérique de la mémoire humaine (patrimoine, souvenirs, données administratives et de santé) dans des serveurs externalisés au profit du big data et de l’intelligence artificielle permet d’exercer une monétisation affective d’archives, pouvant analyser et conditionner un fort contrôle des idées et des opinions. La liberté de l’individu repose sur son libre arbitre, or les structures éco-techno systémiques ne permettent pas de garantir une protection pour une individuation « naturelle ». Le temps libre, traditionnellement associé à la liberté individuelle, est soumis à une tension sans précédent dans cette hyper-connectivité normative.
Ne connaissant pas le temps mort pourtant nécessaire à la pensée profonde, le temps « déconnecté », est devenu bien plus qu’une simple pause : il est le garant de l’équilibre dans la perception du temps naturel face à cet éco-technosystème. Il est le socle indispensable pour maintenir le lien entre tous les écosystèmes naturels du vivant. L’exploitation et la monétisation de l’attention humaine ne constituent-t’elles pas un détournement de l’humanité et une atteinte à la dignité humaine ? Après la sur-exploitation de l’espace et de la biodiversité, le détournement de la perception du temps ne constitue-t-il pas le prochain « écocide humain » ?
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